Europe
Quels sont les critères d’application des règles communautaires pour les marchés mixtes ? Comment s’appliquent les grands principes de la commande publique aux marchés inférieurs aux seuils ?
La Commission européenne poursuit la République italienne pour non respect des principes du traité CE et des directives dans une loi nationale sur les marchés publics. Cette loi-cadre sur les travaux publics (legge quadro in materia di lavori pubblici, n° 109/94) comporte un certain nombre d’éléments (six au total) qui semblent contraires au droit communautaire.
En particulier, ce sont les articles 43 CE et 49 CE du traité et les directives relatives aux marchés publics de services, fournitures et travaux et secteurs spéciaux qui ne seraient pas pleinement respectées. Par cette loi, la Commission estime que la République italienne exclut « certaines adjudications du champ d’application des règles et des principes de la législation communautaire ».
Les griefs sont les suivants :
1) l’exclusion des marchés mixtes du champ d’application de la loi n° 109/94, si les travaux accessoires représentent plus de 50 % du prix ;
2) l’attribution directe de travaux ou d’ouvrages au titulaire d’un permis de construire ou d’un plan de lotissement, si ces tâches ont une valeur inférieure aux seuils d’application de la directive 93/37 ;
3) le mode d’attribution des tâches de conception, de direction et de vérification des travaux dont les montants sont inférieurs aux seuils communautaires ;
4) l’attribution de la direction des travaux au concepteur du projet, lorsque ni le pouvoir adjudicateur ni d’autres administrations publiques ne peuvent l’assumer ;
5) le mode d’attribution des travaux de vérification à des tiers, et 6) le système de concession des travaux financés par des fonds privés.
Nous ne présenterons ici que les conclusions concernant certains de ces griefs. Finalement, cette procédure vise à répondre à deux questions d’intérêt général : « les critères d’application des règles communautaires sur les marchés publics aux marchés mixtes et le respect des principes de transparence et d’égalité de traitement lors de l’attribution des marchés dont le montant est inférieur aux seuils prévus par les directives ».
LES ÉTAPES MENANT AU CONTENTIEUX
La Commission européenne avait reçu plusieurs plaintes concernant les effets de la loi-cadre sur les travaux publics n°109/94, qui devait être modifiée. Dès avril 2002, la Commission a signalé aux autorités italiennes que certaines dispositions de la loi étaient incompatibles avec le droit communautaire. La République italienne, conciliante, a répondu en juin de la même année qu’elle modifierait la loi en conséquence. La loi n°166/2002 est donc venue réformer la première. La Commission n’a cependant pas été satisfaite des modifications apportées et a donc procédé à une mise en demeure de la République italienne en décembre 2002. L’Italie n’a pas donné de réponse satisfaisante à la Commission. Cette dernière, suite à un avis motivé (2ème étape de la procédure précontentieuse) a adressé en octobre 2003, a finalement saisi la Cour de justice européenne (CJCE) d’un recours en manquement.
Seules les conclusions de l’avocat général M. Damaso sont pour l’heure disponibles. Elles ont été présentées le 8 novembre 2006.
LES MARCHÉS MIXTES : QUELS CRITÈRES D’APPLICATION DES RÈGLES COMMUNAUTAIRES ?
Les marchés mixtes sont ceux qui comprennent différents types de prestations : services, fournitures et/ou travaux. Il est très important de déterminer la part de chacune de ces prestations car cela peut avoir un impact sur les procédures à mettre en œuvre. Le principe dégagé par les directives est le suivant (il a été formalisé dans le code des marchés publics français) : il faut rechercher l’objet principal. Pour l’identifier, le principal indice est la valeur des prestations. Les prestations dont la valeur est prépondérante sont alors considérées comme étant l’objet principal. Si un marché de fournitures comprend des travaux accessoires, c’est la directive relative aux marchés de fournitures qui est applicable.
Selon la Commission, la loi italienne en cause « fait du montant des travaux accessoires le seul critère permettant de déterminer le régime juridique des marchés mixtes ».
La jurisprudence européenne est claire : « les obligations accessoires ne sont pas aptes à déterminer les règles applicables, qui doivent être identifiées selon le critère de la prévalence ».
Ainsi, l’avocat général conclut qu’il « apparaît évident que les directives font obstacle à ce que le montant des travaux constitue en toutes circonstances le critère déterminant le régime juridique des marchés mixtes, car, s’il en était ainsi, des marchés dont le noyau consiste en des services ou des fournitures échapperaient aux règles communautaires sous prétexte que les obligations essentielles ont une plus faible valeur ».
TRANSPARENCE ET ÉGALITÉ DE TRAITEMENT IMPOSÉS SOUS LES SEUILS ?
Pour la Commission européenne, les principes de transparence et d’égalité de traitement doivent êtres respectés même pour les marchés inférieurs aux seuils européens. Les articles 43 et 49 du traité CE, qui interdisent les restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services au sein de la communauté s’imposent donc systématiquement.
Or, la Commission européenne a identifié dans la loi italienne un certain nombre d’éléments contrevenant à ces principes (voir griefs exposés plus haut).
Même si elle n’est supposée se prononcer que sur les marchés publics dépassant les seuils européens, la Commission tend à élargir de son propre chef l’application des principes communautaires. Elle a ainsi émis il y a quelques mois une communication interprétative relative aux marchés inférieurs aux seuils, dans le but d’unifier les pratiques au niveau européen (voir notre article Attention, la Commission européenne s’intéresse(ra) aussi aux MAPA du 11/08/2006).
Pour la République italienne, il est excessif de devoir « se référer, au stade de la transposition, à chaque disposition du traité et à la jurisprudence de la Cour ».
L’avocat général ne suit cependant pas la Commission européenne sur ce point précis : « on ne peut pas reprocher à l’État membre concerné l’absence, dans les règles écrites nationales, d’une mention générale relative à l’obligation de respecter les principes de transparence et d’égalité de traitement, compte tenu de leur caractère malléable, la constatation de leur violation dépend des circonstances de chaque adjudication ». L’avocat général rejette donc l’obligation d’édicter un principe général : il convient de veiller au cas par cas au respect des principes.
Il faut désormais attendre le jugement de la Cour.